Camp spéléo GSR Wildhorn

Lors du dernier article, nous avons abordé l’approche faunistique des grottes et de la spéléologie en s’intéressant aux cavités servant de site de refuge et de swarming aux chauves-souris. L’autre aspect de la spéléologie est celui de la découverte d’un monde nouveau et inexploré, où rien n’est sûr.

Benjamin prépare depuis plusieurs mois un camp de spéléologie au Wildhorn. Oriane, dont vous avez déjà aussi entendu parler quelques fois par ici, se greffe au projet. Ce camp spéléo du GSR (Groupe de Spéléologie Rhodanien) durera une semaine et a pour but d’explorer de nouvelles grottes désormais accessibles « grâce » à la fonte du glacier. Au comité organisationnel s’ajoutent Dominique (président du GSR), Rémi (responsable intendance) et moi-même (responsable audiovisuel). Nous serons sur le camp toute la semaine alors que d’autres spéléologues ou amis se joindront à l’équipe d’exploration quelques jours selon leurs disponibilités.

La préparation du camp n’est pas une mince affaire. Celui-ci est perché à 2850m d’altitude au pied d’un glacier sous le sommet du Wildhorn. Le temps en montagne est très changeant, notamment à cause de « l’effet de cime ». Pour y accéder, l’approche nécessite 3h50 de marche depuis le départ des remontées mécaniques des Rousses à Anzère. Il faut de la nourriture pour 5 à 13 personnes pour la semaine. Le camp de base comporte une partie cuisine, les tentes et le matériel de bivouac des participants ainsi qu’une tente principale pour les soirées animées. Le matériel technique pour la progression verticale, l’exploration et le recensement des grottes est également primordial. Cela représente en tout est pour tout 4 bidons, 4 caisses Rako, 18 kits et 14 sacs pour un total de 840kg. Les achats de produits frais sont faits le samedi, deux jours avant le début du camp par Oriane et Benjamin. Le samedi après-midi, toutes les affaires sont contrôlées, comptées, empaquetées et pesées.

Lundi matin, tout le paquetage est amené au parking du départ des remontées mécaniques des Rousses. Là, les affaires sont dispatchées dans deux filets pour être amenées sur l’emplacement du camp par un hélicoptère.

Position en Y tenue par Dominique pour aider à l’atterrissage de l’hélicoptère

 

Contrôle des filets avant l’héliportage par un assistant de vol

L’hélicoptère posé sur le parking des pistes des ski d’Anzère

On profite de la première rotation pour monter nous aussi en hélicoptère.

Benjamin donnant des informations sur l’emplacement du camp au pilote

Le fait d’être sur place avant la rotation de matériel nous permettra d’aider à décrocher les filets, les vider puis les rendre à Air Glacier. Le trajet se fait en moins de 5 minutes, juste le temps d’apprécier depuis le ciel notre terrain de jeux pour cette semaine de camp.

Durant la montée, l’une des conséquences du puissant séisme de 1946 se présente à nos yeux : les marques d’un écroulement dans la face sud du Six des Eaux Froides sont toujours visibles et la zone de dépôt est jonchée de gros blocs au lieu-dit des Andins.

Le barrage du Rawil vu depuis l’hélicoptère

Les éboulis dû au séisme de 1946 dans la vallée des Andins

Étant déjà sur place avant la première rotation, Rémi, vêtu d’une veste jaune, facilite la localisation de l’emplacement du camp. Il s’est levé plus tôt que nous pour nous rejoindre à pied, car malheureusement seulement quatre personnes peuvent prendre place dans l’hélicoptère.

Lapias du Wildhorn depuis le cockpit

Remi en jaune indiquant l’emplacement du camp

Sortie de l’hélicoptère

L’héicoptère repart chercher les deux filets de matériel

Les deux rotations de matériel se sont très bien déroulées. Les températures étaient froide. Cela a aidé à la portance de la machine, du fait de la densité supérieur de l’air frais. De plus, le maximum de poids autorisé pour chaque rotation était de 600kg, bien au-dessus de nos 2x 400kg.

Arrivée du premier filet de matériel 

Décrochage du filet une fois au sol

 

Une fois le matériel déposé, pas de temps à perdre ! Nous nous séparons en petits groupes pour monter le campement.

Dominique rangeant le filet de transport

Vider le filet pour qu’il puisse repartir chez Air-Glacier

Rémi et Benjamin aménagent la partie cuisine alors que Dominique, Oriane et moi focalisons sur la recherche d’eau de fonte, montons la tente principale « de séjour » et installons les toilettes sèches ainsi que la douche solaire.

Montage de la table pour la cuisine

Mise en place de la bâche pour protéger la cuisine des intempéries

Encrage de la tente commune

Utilisation des vis à béton pouvant être démontée à la fin du camp

Finalisation des détails dans la tente commune par Dominique

Installation des toilettes (bidon dans une boite en bois)

Une fois toutes les parties communes montées, il est temps d’installer nos tentes individuelles. Comment les fixer à même le lapiaz ? Impossible de planter une sardine dans cette roche calcaire. Heureusement, le matériel de spéléo est là ! On sort les trois perceuse-frappeuse qui nous permettrons de fixer des vis à béton en guise de sardines.

Utilisation de la perceuse frappeuse pour les ancrages des tentes individuelles

Mise en place de la tente d’Oriane

Mise en place de la tente de Dominique

Ces vis peuvent être enlevées à la fin du camp, ne laissant plus que des petits trous dans la roche. Aucun corps étranger ne restera dans la roche. C’est une des améliorations technologiques intéressantes que nous allons également employer pour l’exploration des grottes. Toutes les cavités seront équipées avec des systèmes entièrement démontables comme les encrages Pulse de Petzl ou des vis à béton multi-monti. Ces systèmes sont utilisés uniquement pour de l’exploration. Ainsi, une fois que les gouffres sont équipés, topographiés, photographiés, tous les encrages sont ensuite démontés et cela permet de laisser les grottes aussi propres qu’au départ.

Noeud de fusion fixé par deux Pulse

À peine les tentes sont montées que la grêle s’abat sur le camp. On passe de 15°C en t-shirt à -3.5°C en  grosse doudoune et gortex. On se réfugie dans la tente principale et les premières bûches de sapin sont brûlées dans le fourneau acheté spécialement pour le camp.

Mise à feu du foyer

Le retour de flamme n’est pas sans risque pour les ciles

Apéro dans la tente commune

Repas du soir dans la tente commune

C’est quand même un luxe de pouvoir se réchauffer au feu de bois. Devant ce feu, nous discutons des aînés qui sont déjà venus explorer la région entre 1992 et 2006 et même dans les années 70 pour les plus anciens explorateurs. Avec la fonte progressive du glacier, chaque expédition a permis la découverte de nouveaux trous un peu plus haut dans le lapiaz.

Nous avons pris le même emplacement que l’ancien camp de 2004-2006. Une de leur bâche et quelques lambourdes en bois ont d’ailleurs été réutilisée pour notre cuisine.

Malheureusement, le reste du matériel laissé sur place n’a pas supporté le poids de la neige, l’humidité et les années. Les cordes sont usées et les mousquetons oxydés : la sécurité des personnes ne peut plus être garantie avec un tel matériel. Des bouteilles d’eau ainsi qu’une génératrice sont également retrouvées sur place. Tous ce vieux matériel sera descendu à la fin du camp afin de laisser le lieu nettoyé de toute trace humaine.

Puis la grêle cesse aussi rapidement qu’elle a commencé. Le ciel se dégage et laisse place à un ciel étoilé avec la voie lactée pour le reste de la nuit.

La voie lactée au-dessus du camp

C’est bien fatigué que chaque membre de l’équipe de mise en place du camp rejoint son sac de couchage respectif.

Les nuits sont fraiches, le givre recouvre les tentes

Le lendemain, la matinée est consacrée à la prospection de grottes sur le lapiaz. D’anciens trous déjà explorés lors des précédents camps sont repérés. Pour certains, la descriptions de la cavité est sommaire, tandis que pour d’autres, une topographie, soit un dessin complet en coupe et en plan a été réalisé. Évidemment, la partie la plus motivante est de trouver de nouveaux gouffres jamais découverts car recouverts par le glacier ou cachés par des névés.

Lapias où de nombreuses cavités se sont creusées avec le temps

Les trous cachés par des névés sont d’ailleurs très dangereux car ils peuvent être des pièges pour les randonneurs ou skieurs. Certaines zones de failles avec des cavités sont marquées sur les cartes topographiques : Pensez donc à éviter ces lapiaz s’ils sont recouverts par la neige.

 

Equipement du premier gouffre par Benjamin

Topographie du premier goufre. Antony au Disto et Oriane fait les relevés

Vue d’ensemble du premier goufre

Perçage pour un ancrage au gouffre dit « du Twix »

L’après-midi, les combinaisons de spéléologie sont enfilées. Les puits repérés par les anciens avec des notes telles que « avec potentiel » ou « à revoir » sont descendus pour être exploré. La neige bouchait certaines de ces grottes au moment de leur première visite, ce qui n’est parfois plus le cas avec le réchauffement climatique. Mais dans certains trous, les névés tiennent drôlement bien et finissent même par créer des bouchons de glace !

Stéphane, mon compagnon de cordée avec qui nous voulons gravir tous les 4000 de Suisse nous rejoint en fin de journée. On se lève le lendemain à 5h du matin pour faire l’ascension du Wildhorn, la montagne qui domine le camp.

Ascention du Wildhorn de nuit

En direction du sommet du Wildhorn visible tout à gauche

La traversée du glacier se fait en crampons

C’est un sommet avec une altitude assez modeste de 3250m mais qui se détache bien des autres sommets dans la région sur la rive droite du Rhône. On enfile les crampons mais on garde la corde dans le sac pour la traversée du glacier. Il n’y a aucune crevasse visible et le glacier semble « calme ». Nous montons sans difficulté, à la lueur de la lampe frontale. Nous profitons du lever de soleil avec une vue imprenable sur les Alpes. De l’Aletschorn au Mont-Blanc en passant par la couronne impériale. Une fois arrivés au sommet, chauffés par les premiers rayons de soleil, nous pouvons apprécier la vue sur le plateau suisse avec notamment les Gastlosen.

Une belle vue sur le sommet des Diablerets

Bien content d’être arrivé au sommet avec Stéphane

Sur le chemin du retour, Stéphane continue sa route en direction du canton de Berne pour avoir une correspondance avec les bus. De mon côté, je rejoins le camp en faisant un grand détour pour trouver de nouveaux trous. La roche du côté du Rawyl est un vrai gruyère avec pleins de jolies galeries à découvrir, mais ce sera pour une autre fois. Nous avons déjà repéré plus de nouveaux trous qu’explorables en une semaine.

 

Exploration du trou dit « de la pipe »

Relevé des coordonnées GPS de la cavité

L’après-midi, il est temps d’explorer les grottes repérées la veille pour déterminer leur potentiel. Quatre équipes sont formées : une pour la topographie, deux pour l’exploration et une pour la prospection de surface. Dans les grottes explorées cette semaine, on trouve généralement une succession de puits descendant jusqu’à -30m environ. Certains gouffres distinctifs sont nommés directement sur le terrain par rapport à des anecdotes. Par exemple, dans « le gouffre du Twix », Oriane a laissé échapper un emballage de Twix pendant le repérage, nous obligeant ainsi à l’explorer plus en profondeur afin d’y récupérer le dit déchet. Un autre trou s’appelle « le gouffre du ballon rose » car Dominique y a trouvé un ballon rose au fond de celle-ci lors de son exploration. Une autre cavité s’appelle le gouffre de la pipe de par la forme de son entrée et aussi car Rémi a mis le feu à sa pipe lors de la pause de midi à l’entrée du gouffre.

Oriane relevant les dimensions de la tête de puit

Jeudi, les groupes sont remixés, l’occasion pour moi d’intégrer l’équipe des dessinateurs de grottes.

Descente dans le gouffre pour le relevé topographique détaillé

relevé dimentionnel du puit

Le puit vu depuis le fond. L’humidité des parois met bien en évidence les formes de la paroi.

Avec Oriane, on topographie les puits équipés temporairement par Benjamin et Anthony. La topographie des grottes se fait de manière minutieuse. Le laser de mesure (DistoX) modifié avec une boussole et d’un inclinomètre permet de déterminer la distance, l’orientation et la pente entre chaque point de mesure dans la grotte.

Mesure de la largeur d’un puit à l’aide du Disto (mesure de distance avec l’aide d’un pointeur laser rouge)

Relevé des valeurs mesurées à l’aide du Disto (direction 175,5° par rapport au Nord, pente de -77.3°, distance de 7.65m)

Mesure au Disto par Oriane

À chaque point de mesure, on note aussi la dimension de la galerie autour du points. Ces données sont notées dans un petit calepin de spéléo et un croquis de la grotte est dessiné sur papier millimétré directement sur le terrain.

On avance point par point dans la cavité, Oriane devant marque le prochain point avec du vernis à ongle rouge Ferrari puis je vise le point avec le Disto et donne les valeurs à Oriane.

Les points de mesure sont marqués à même la roche par une peinture rouge

Une fois la grotte topographiée jusqu’au « cut » (fin de la cavité), la grotte est déséquipée en retirant les Pulse de la roche.

Retrait d’un Pulse

Rangement de la corde en cours de remontée du puits dans un kit

Remontée du puits

La combinaison jaune en PVC permet d’être plus étanche dans des grottes très humides

Le soir venu, les points et valeurs relevées dans le carnet sont entrés dans un logiciel qui modélise en trois dimensions les cavités.

Retransmission des mesures sur l’ordinateur dans la tente commune

Parfois, des surprises nous attendent. Par exemple, des gouffres estimés à -50m sont finalement des trous de -26m. On a tendance à estimer la profondeur des trous selon les longueurs de cordes utilisées pour la descente. Or, certains trous ont un développement plus horizontal. Il est alors intéressant de regarder le degré d’inclinaison des pentes pour mieux comprendre la morphologie des grottes visitées. En plaçant les différentes cavités dans l’espace avec les coordonnées GPS et leur altitude, il est possible de déterminer si certains gouffres peuvent se rejoindre et ainsi former un réseau de galerie. Le graal serait de trouver un collecteur d’eau principal qui traverserait tout le lapiaz.

Le soir, l’ambiance est toujours bonne enfant au camp. Le planning des repas du soir est bien varié et organisé.

Préparation du repas du soir

Le petit foyer dans la tente commune permet de garder le repas au chaud en attendant d’être servi

Service des différentes portions pour le repas du soir

Vendredi matin, le jour se lève sur le camp. La semaine s’écoule à une vitesse folle. Il nous reste tellement de grottes à explorer. Je remplace Anthony qui doit redescendre en plaine et rejoint Benjamin pour équiper les puits. Armé d’une perceuse-frappeuse à accu, il fixe les amarrages.

Chaque trou est marqué avec une petite rondelle inox

insertion d’un ancrage Pulse

Selon la topologie du terrain, une main courante est aménagée. Puis, il faut se faufiler dans le gouffre et le sécuriser. Afin de sécurisé le passage pour l’exploration et la topographie, les parois sont nettoyées de tous les cailloux instables. Ce sont des kilos de cailloux qu’il faut purger, en les mettant plus bas ou en les sortant de la grotte. Cette étape est primordiale dans l’exploration d’une grotte car tout est en équilibre et le moindre caillou peut vous désarçonner, rendre invalide ou vous tuer sur le coup. Malheureusement, certains cailloux ainsi déplacés viennent boucher les passages plus étroits en profondeur et nous obligent à rebrousser chemin. Malgré le nettoyage effectué, il faut sans cesse observer les environs pour déceler de potentiels dangers. L’alternance gel – dégel au fil des saisons a tendance à ouvrir toujours plus certaines fractures, ce qui fragilise la roche. Heureusement peu d’accident à déclarer au cours de la semaine, si ce n’est un ou deux doigts un peu écrasés dans la précipitation des explorations. Il y a eu quelques « close call » par exemple lorsque, en posant le pied sur un caillou que je pensais stable, celui-ci s’est décroché en direction de mon coéquipier. J’ai alors juste pu le plaquer contre la paroi du puits et ai réussi à le maintenir le temps que Benjamin se mette plus ou moins en sécurité après que je lui ai braillé « planque toi !». Le rocher, avec les ricochés dans le puits, ne lui passa pas bien loin…

Comme expliqué plus haut, les puits sont équipés avec le système d’amarrage démontable Pulse. Ainsi, une fois la topo terminée, la grotte peut être déséquipée sans laisser de traces.

 

On profite d’équiper un joli puits pour faire descendre Rémi dans un bougan.

Installation d’une main courante pour un accès facilité au puits

Le bougan est sa manière de dire gouffre dans le patois d’Isérables. C’est d’ailleurs ainsi que nous nommons ce trou. Rémi est monté toute la semaine pour s’occuper de l’intendance du camp et profiter de la bonne humeur de l’équipe. Contrairement au reste du groupe, il n’est pas vraiment spéléo dans l’âme mais une petite descente sur corde dans un bougan est tout de même un passage obligé.

 

Descente dans le bougan par Remi

Rémi a passé toutes les nuits de la semaine contre vents et marrées, ou plutôt contre grêle et températures glaciales sous sa tente en carrés militaires.

Tente tarpe en carré militaire

Remi défaisant ses chaussures à la lueur d’une lampe à pétrole avant de se glisser dans le sac de couchage militaire

Il a monté les 1100m jusqu’au camp avec les anciennes chaussures de ski de l’armée. Dans son quotidien, il n’a pas de télé, smartphone ni d’ordinateur, il faut lui envoyer des lettres à la place de mail. C’est vraiment un personnage qui inspire le respect dans un monde où tout s’emballe et où le futile remplace l’utile. Profiter de la vie, simplement. Un grand merci à lui qui a su transmettre sa philosophie de vie dans ce camp inoubliable ! Sans lui, pas de gnocchi avec sauce mijotée pendant 3h, pas de permanence radio en cas de problème et surtout pas la même ambiance.

 

Au fur et a mesure que la semaine s’écoule, de plus en plus de monde viennent nous rendre visite. De 5 nous voila maintenant 13. Des tentes s’ajoutent au camp.

De nouvelles tentes se sont ajoutées au camp au fil de la semaine

Le camp au petit matin avec la cuisine à gauche et la tente commune à droite

Les premiers rayons réveillant les spéléo

Une vue d’ensemble sur tout le camp ainsi que de nombreux 4000m

Le soir, dans la tente commune, le poêle à bois nous réchauffe.

Repas du soir dans la tente commune

Attention, interdiction d’y mettre du charbon de bois au risque de faire fondre la tôle, nous met en garde Dom. Il n’y aura pas besoin de charbon pour le rendre rouge vif.

Le poele devenant légèrement incendéscent lorsque le tirage est trop grand

Tirage à fond et quelques bouts de sapin et voilà qu’il éclaire la pièce de son rouge sombre. En fin de soirée, en plus du poêle, le génépi de Chab nous apporte aussi un peu de chaleur.

Les matins suivants, je profite des premiers rayons de soleil pour faire quelques vols avec le drone et profiter du lever de soleil sur le lapiaz.

Lever du jour

Lever du jour avec une vue sur le lac et la cabane des Audannes

Pendant ces petites balades en dehors des sentiers battus, il n’est pas rare de trouver des munitions DCA tirés par l’armée.

Munitions DCA trouvées dans le lapias

La plupart des pièces sont encore intacts. Sûrement qu’ils ont atterris dans l’épaisse couche de neige ou dans le glacier lorsqu’il était plus en aval. Les munitions ayant touchés la roche ne ressemblent plus à grand-chose. On en ramène une bonne vingtaine par jour au camp. Un matin, je suis revenu avec 19 pièces rajoutant pas loin de 20kg à mon sac. Pas de panique, ces ogives-là sont inertes, elles sont faites pour traverser la carlingue des avions par inertie. Cependant, restez vigilants et dans le doute ne touchez pas aux munitions de l’armée, il vaut mieux les avertir directement.

Je ne suis pas le seul à me lever le matin. Parfois, on peut entendre la flûte de Chab au loin chanter l’hymne des montagnes.

Chab enchantant le lapias d’une douce mélodie

Il est aussi possible de croiser Oriane en train de dessiner le camp et les montagnes aux alentours.

Croquis sur le terrain

Oriane esquissant la vue depuis le camp

Après le petit déjeuner et un court débriefing, les équipes pour la journée sont reformées et chaque groupe part augmenter les connaissances souterraines de la région. Certains gouffres nous réservent des surprises, comme ceux où il pleut à nous mouiller jusqu’au slip.

Gouffre pouvant être humide avec la fonte des névés et du glacier

Dans d’autres, l’humidité et les températures glaciales transforment notre souffle en vapeur.

Le souffle du taureau

L’air expiré condence rapidement

Dans d’autres encore, ce sont carrément des glaciers sous-terrain ou de dangereux névés suspendus qui nous attendent.

Glacier suspendu

Justin passant par dessus la glace en suspension

Dans d’autres grottes, on trouve beaucoup de cristaux de calcite.

cristaux de calcite trouvé dans une veine souterraine par Oriane

La calcite est le principal élément constitutif des roches calcaires et des coquillages ou microfossile qui la composent. Mais elle peut aussi se manifester à l’état pure sous forme de petits cristaux blancs ou transparent.

cristaux de calcite rétro-éclairé dans une grotte

Ces cristaux parviennent souvent à se former dans les failles des roches calcaires. Plus la faille est grande, plus il aura de place pour former de beaux et gros cristaux. S’il se trouve à l’étroit, il ne forme que des lignes blanches dans la matrice grise du calcaire. Contrairement au quartz qui frome des cristaux hexagonaux, la calcite prend le plus souvent la forme de parallélépipède. Elle est aussi généralement moins transparent. Il existe cependant des formes très pur quasiment transparent. Lorsque c’est le cas, la calcite a des propriétés de diffraction étonnante de la lumière : il peut dédoubler des lignes ou générer localement des « arc en ciel ». Des fossiles de coquillages et d’huîtres abondent souvent au sein de la matrice rocheuse. Il me semble même avoir vu des ammonites mais Elme, une géologue de passage au camp, pense plutôt à une sorte de crevette. Mais comment se fait-il que ces animaux marins se retrouvent à 2900m d’altitude au pied d’un glacier ?

Différentes couches de calcaire sédimentaire superposées

Il y a plus de 250 millions d’années, la Pangée, un super continent, sortait des eaux. Dans notre région, l’océan Téthys naît de l’espace libéré par deux plaques tectoniques divergentes, à la suite de la dislocation de la Pangée. Sous l’océan, dans les zones peu profondes, non loin des continents, la vie grouillait avec des mollusques et coquillages de toutes sortes. Ils naissent, folâtrent, traficotent et meurent. Les débris de coquilles s’empilent dans les fonds marins formant ainsi des strates ou autrement dit, des couches sédimentaires. Les récifs de corail dans les eaux les moins profondes sont aussi responsables de la formation de grands bancs calcaires. Puis le mouvement des plaques s’inverse, une phase de convergence commence. Avec le temps, la plaque tectonique du continent Africain se rapproche du continent Européen. L’océan se referme gentiment. Il y a 40 millions d’années, l’océan Téthys est rayé de la carte. Les couches calcaires déposé sont alors comprimé et pris en sandwich et se voit progressivement soumis à des conditions de pression et température élevé. Cela a pour effet de cimenter et consolider la roche calcaire avec les résidus d’animaux marins. Cette consolidation du calcaire s’apparente en quelque sorte à la cuisson d’un gâteau au four (un peu comme les gâteaux qu’Anthony nous a amené mardi soir 😛 ). Lorsque la contrainte devient trop forte, ces unités calcaire glissent comme un savon serré dans la paume d’une main et sont étalées sous forme de nappes (Un peu comme si on étal le nutella sur la tartine lors du déjeuner au camp du Wildhorn). Ces roches sédimentées aux abords du continent Européen et aujourd’hui empilé et érodé au Nord des Alpes centrales constituent les nappes dites Helvétique. En tout, trois nappes se sont empilées les unes sur les autres : la nappe de Morcles, celle des Diablerets et au sommet celle du Wildhorn. Au cours de leurs formations, les Alpes ont été soumis à l’érosion, mettant ainsi au grand jour ces unités Helvétiques avec le relief tel qu’on le connait aujourd’hui. Autant dire que ces coquillages fossilisés qui se trouvent maintenant au sommet des Alpes sont bien loin de leur fond marin d’origine.

Fossiles emprisonnés dans la roche calcaire

Fossiles exposés à la lumière du jour après un incroyable voyage sous-terrain

Tout cet immense versant calcaire, que nous avons exploré, a été sculpté par le glacier et les eaux. Le glacier provoque une érosion dite ‘’mécanique’’ : elle polit la roche, arrache des blocs et surcreuse des vallons. L’eau quant à elle provoque surtout une érosion dite ‘’chimique’’ : le gaz carbonique présent dans l’atmosphère se dissout dans l’eau et forme avec cette dernière de l’acide carbonique, un peu comme dans les bouteilles d’eau gazeuse. Or cet acide carbonique a la capacité de dissoudre la calcite, minéral essentiel des roches calcaires. Ainsi, lentement mais inlassablement, l’eau va petit à petit creuser en surface des cannelures, rendre la roche très abrasive et parfois même coupante. Il faut faire attention de ne pas glisser sur cette roche au risque de s’ouvrir un genou ! Mais cela ne s’arrête pas en surface ! Pour le plus grand bonheur des spéléologues, cette eau peu s’infiltrer à travers les fractures préexistantes, agrandissant au sein de ces dernières des passages. Cette eau peut aussi se glisser entre les couches de calcaires et provoque ainsi l’apparition de galerie orienté en fonction de la disposition des couches géologiques. Les couches de calcaire de la région sont disposées avec une certaine inclinaison et sont coupées de toutes part de failles verticales. Il en résulte une prédominance de puits subverticaux avec quelques passages plus ou moins horizontaux.

Calcaire lissé par le glacier, creusé par le ruissellement avec des petites veines blanche de calcite. Des plantes pionnières commencent aussi à coloniser ce terrain récemment libre des glaces

Sachant que la présence humaine ne représente qu’une fraction de seconde à l’échelle géologique (3 million d’années), nous sommes bien peu de choses en foulant les lapiaz chargé d’une telle histoire…

Oui, je suis conscient que j’aurais dû expliquer la formation des lapiaz en début d’article mais avouez que vous aurez décroché, non ? D’ailleurs est-ce que quelqu’un lit encore l’article ? Si oui, alors sache que tu es le meilleur 😊

Puis, il est temps de ranger le campement en prévision de la descente du matériel en hélicoptère le lundi.

Démontage de la tente commune

Dévissage des vis à béton par Chab pour ne laisser aucun corps étranger dans la roche

Retournement de la tente pour la faire sécher au soleil

Centralisation du matériel

Pour résumer, une superbe semaine d’exploration à la recherche de gouffres fraîchement mis en lumière par le retrait du glacier. Une super ambiance de groupe sans accident majeur. Une organisation au poil avec, pour résultats, des cartes augmentant notre connaissance du monde souterrain encore largement méconnu.

L’équipe d’organisation du camp en image. De gauche à droite: Lionel, Dominique, Oriane, Benjamin et Remi

Merci pour votre patience et votre lecture.

Un grand merci à tous les organisateurs de cette superbe semaine: Benjamin Roh, Oriane Albanèse, Dominique Preisig et Remi Jacquemettaz.

Un grand merci aussi à tous les participants qui sont venu sur le camp: Chab Lathion, Fred Bétrisey, Anouk Athanasiades, Louis Stählin, Ludo Savoy, Elme Rusillon, Stéphane Weissbaum, Justin Worni, Frédéric Worni, Armand Bassin et Antony Salamin.

Merci aussi au soutien financier du Groupe de Spéléologie Rhodanien

Merci au relecteur : Benjamin, Oriane ainsi que Anthony pour la partie géologie

A bientôt pour d’autres sorties underground!

 

*svp remplissez toutes les cases. Merci!