Parapente dans la couronne impériale
Le week-end dernier, avec Lisa, nous avons eu la chance de passer une journée en parapente en biplace. Les conditions étaient idéales : une météo très clémente, et un « plafond », comme disent les parapentistes, très haut. La veille, l’équipe de parapentistes du Jura, les Cracoucasses, avait réussi à s’élever à plus de 4 600 m, pulvérisant pour la plupart leur record personnel d’altitude !
Évidemment, en biplace, ce n’est pas voler comme en solo, et il sera très difficile de reproduire un vol similaire. La tension est à son comble, la journée s’annonce mémorable avant même de commencer !Il faut dire que je ne suis pas non plus complètement serein. N’ayant jamais fait de parapente, il est difficile de savoir comment je vivrai le vol. Il arrive très souvent d’avoir le « mal de mer » ou d’avoir très froid, ce qui oblige à se poser au plus vite pour éviter un malaise.
Mais nous nous étions équipés en conséquence ! Un parapente vole à une vitesse moyenne de 30 à 40 km/h, ce qui veut dire qu’un vent glacial (0 °C à 3 400 m ce jour-là) nous souffle constamment dessus, et l’on est totalement statique dans la sellette.Ces belles conditions exigent, toutefois, une grande expérience de la part du pilote pour savoir les exploiter : lire le terrain, sentir les thermiques, rester dans l’œil du courant ascendant pour gagner de l’altitude tout en gardant la stabilité de l’aile. En automne, les thermiques mettent plus de temps à se former, et c’est vers 13 h que les conditions sont les plus favorables pour un long vol.
Pour s’échauffer, et surtout pour s’habituer au vol en biplace, on commence dès le matin. Arrivés à la station de Zinal, nous prenons les premières remontées mécaniques pour nous rendre sur la plateforme de décollage sous la corne de Sorebois. En attendant, un parapentiste du groupe, Loïc, nous rejoint à pied : c’est son entraînement « hike and fly », une discipline de course en parapente.
Sur la plateforme, nous déployons les voiles, démêlons les suspentes, superposons les couches de vêtements, et nous installons dans les sellettes. Lisa en biplace avec Diego, moi avec Arnaud : chacun reçoit un débrief sur le décollage, le comportement en vol et, plus important encore, l’atterrissage.
Diego et Lisa en biplace se préparant au décollage juste au dessus de l'espace Weisshorn
Le moment fatidique approche. Arnaud fixe ma sellette à la sienne avec deux mousquetons, et c’est l’instant de courir, penchés en avant sur la pente, pour quitter le sol. Une sensation incroyable : d’abord l’aile offre une bonne résistance pendant la course, puis, peu à peu, les caissons se remplissent d’air, l’aile se soulève, et la vitesse s’accroit. Je me sens de plus en plus léger jusqu’à courir dans le vide : je n’ai plus pied.Quel silence, on file dans les airs sans bruit. Pas très à l’aise dans ma sellette, j’ai l’impression de glisser vers l’avant. Arnaud, le pilote, s’en rend compte immédiatement, et à l’aide de ses genoux, me repositionne. Une fois bien installé, quelques respirations plus tard pour me calmer, tout va bien.
Les conditions matinales en automne sont très calmes : les thermiques ne sont pas encore en place, et notre vol est de type « plouf ». C’est-à-dire que nous descendons assez rapidement vers la piste d’atterrissage. Nous en profitons toutefois pour découvrir le plat de Lalé vu du ciel. Arnaud, fidèle à ses acrobaties, me demande si je suis motivé pour tester une figure "en face planète". Commençant à être à l’aise après ces quelques minutes de vol, j’accepte. La voile biplace de 42 m² étant un gros engin, il faut d’abord faire quelques zigzags pour amorcer la rotation du 360°. Puis Arnaud met toute la pression vers la gauche, et nous voilà partis en « face planette ». Je ne m’attendais pas à ressentir une telle force : c’est étrange de se retrouver plus haut que l’aile qui nous porte ! Mon œil droit perd rapidement la vue, et l’œil gauche ne distingue plus que le centre du champ visuel ! Après quelques 360°, la vision redevient normale instantanément.Impressionnant. Chapeau à Arnaud, qui maîtrise son aile à la perfection ! Après quelques secondes pour reprendre mes esprits, je me rends compte de l’altitude perdue en quelques rotations : nous sommes juste au-dessus des toits de Zinal. Le matin, le vent descend des montagnes vers la vallée, car l’air est plus froid en altitude. Il nous oblige donc à atterrir contre le vent, en remontant la pente.
L’atterrissage se fait tout en douceur : une petite « ressource » permet de perdre de la vitesse et d’atterrir « comme une fleur ». Un premier vol d’environ quinze minutes, quelle sensation, vraiment incroyable !
Tracé gps du premier vol
Nous ne perdons pas de temps et reprenons les cabines pour enchainer avec un second vol. Les conditions restent très calmes. Plus à l'aise, cette fois, je sors l’appareil photo pour prendre quelques images en vol. Nous décollons après Diego et Lisa, entourés par le reste de l’équipe des Cracoucasses (Marie, Linsey, Lucas et Loïc, qui nous a déjà rejoint à pied). Un vol tranquille, semblable au premier.Nous suivons l’autre biplace, parfaitement aligné avec le Zinalrothorn, de quoi prendre une belle image souvenir du vol !Diego et Lisa en biplace allant en direction du Zinalrothorn avec Loïc plus loin en plein virage. A droite le Besso reconnaissable avec ces deux pointes
Loïc nous fait une petite approche pour nous saluer, un « touché d’ailes » avant de repartir. Puis nous enchaînons une série de 360° : cette fois-ci, sachant à quoi m’attendre, ça se passe beaucoup mieux pour moi, et je peux profiter à la fois de l’acrobatie et du paysage.Marie avec sa voile Pressor entrain de faire un 360°
Lucas et Marie au dessus de Zinal
Cette fois, le vent de vallée commence à changer, on le remarque aux manches à air près de la piste. Avec le soleil désormais plus intense, l’air de la plaine se réchauffe et monte en altitude. Nous devons donc atterrir dans l’autre sens, en évitant une voiture stationnée non loin de la piste.Tracé GPS du deuxième vol
Le temps est venu d’aller déjeuner avec toute l’équipe avant que le grand vol ne commence ! Cette fois, nous grimpons au sommet de la corne de Sorebois et attendons longtemps pour décoller dans les meilleures conditions possibles.Nous ne sommes pas seuls : beaucoup de parapentistes sont également présents. Les bonnes conditions de la veille ont bien circulé, et tout le monde veut tenter d’atteindre des hauteurs vertigineuses ! Le vent est un peu capricieux, et parfois des « dust devils » apparaissent, des mini-tornades qui emportent les voiles posées au sol.
En attendant des conditions parfaites, nous observons les autres parapentes dans le ciel : quelle stratégie adoptent-ils ? Où sont les thermiques ?Avec des rafales de vent un peu imprévisibles, une partie du groupe décide de décoller plus bas, où les conditions sont plus stables. Avec Arnaud, nous déplaçons notre voile qui s’est emmêlée sur un autre versant de la corne. Après l’avoir dépliée, et avec l’aide d’un autre parapentiste, nous profitons d’un moment d’accalmie pour nous élancer sur la pente et reprendre les cieux.
Préparation des voiles au décolage de la corne de Sorebois. Marie, Diego et Lisa préparent le matériel un peu plus bas
Recherche de thermique le long de l'arrête avec de nombreux autres parapentes
Cette fois, le style de vol change totalement : nous longeons l’arête à la recherche de thermiques. C’est très surprenant quand on entre dans un courant ascendant : on est tiré vers le haut, un peu comme dans une montagne russe. Plus on monte rapidement, plus le “bip” du variomètre est intense. C’est un petit instrument très pratique pour détecter et rester dans un thermique : ses bips nous accompagneront tout au long du vol. Cela devient rassurant avec le temps dentendre ce sont qui nous indique que nous prennons de la hauteur. Après quelques difficultés initiales pour trouver un thermique porteur, nous entrons dans un fort courant ascendant qui nous élève de 2 900 m à plus de 3 300 m. Les abords des thermiques sont très turbulents : nous avons connu une belle frayeur lorsque l’aile s’est partiellement fermée, nous faisant chuter de plusieurs mètres. Mais l’expérience d’Arnaud et la stabilité des ailes biplaces permettent de rouvrir rapidement la voile et de reprendre l’ascension.Il faut avoir le cœur bien accroché ! Impressionnant de voir à quelle vitesse on gagne de l’altitude. Nous sommes à plus de 3 300 m, et il commence à faire sérieusement froid, nous flirtions avec le 0 °C.Suspendu, les pieds dans le vide à 3300m d'altitude
Au loin, le mont Blanc (4'806m), plus haut sommet des alpes, s'impose par sa masse
La vue sur le fond de la vallée de Zinal depuis le parapente: Zinalrothorn (4'221m), Mt Rose (4'634m), Ober Gabelhorn (4'064m), Cervin (4'478m) et dent Blanche (4'357m)
C’est la grande traversée désormais : nous quittons notre thermique pour traverser toute la vallée et tenter de rejoindre la cabane de Tracuit en face. Plus nous sommes hauts au départ, plus nos chances de réussir à raccrocher l’autre versant sont bonnes.petit selfi avec Arnaud pendant la traversée
Traversée avec un autre parapente en direction de la cabane de tracuit (en bas à gauche au pied du glacier 3'259m). Bishorn (4'203m) , et Weisshorn (4'505m) plus haut.
Quel contraste entre ce vol chahuté et la traversée, beaucoup plus paisible. Les bips du vario se sont désormais tus, car nous perdons de l’altitude avec la distance. Sur une traversée de 7 km, nous avons perdu 1 800 m ! Arrivés en face, nous cherchons de nouveaux thermiques pour regagner l'altitude perdue, mais ils semblent rares ou insuffisants.Depuis là-haut, on distingue mieux un glacier rocheux — des rochers maintenus ensemble par de la glace, glissant tel un glacier traditionnel. Avec le temps, la glace entre les blocs a fondu, figée le glacier rocheux dans le temps.
Nous longeons les crêtes, à la recherche du moindre bip qui nous indiquerait une reprise d’ascension.L'ombre du biplace dans la falaise que l'on frole pour "grater" un peu d'altitude.
un autre parapentiste en recherche de thermique devant la pointe de Zinal (3'791m)
Nous sommes très proches des falaises, ce qui est un peu risqué pour un biplace, moins agile en vol. Les autres parapentistes du secteur sont dans la même quête. Lorsqu’un d’eux semble monter, nous le rejoignons pour essayer de profiter du thermique. Nous « grattons » petit à petit, quelques mètres ici et là.
Un peu plus loin, nous apercevons deux gypaètes dans la falaise : eux aussi cherchent des thermiques, mais sont nettement plus habiles que nous. Nous les accompagnons pour survoler les arêtes. Rapidement, nos trajectoires se séparent : les gypaètes partent chasser un grand corbeau !
C’est un comportement que je n’avais presque jamais observé : habituellement, ce sont plutôt les corvidés, plus territoriaux, qui houspillent les rapaces.
Finalement, après une heure à frôler les falaises, les thermiques deviennent plus consistants et la vue devient plus sympa.Nous voyons plus bas la voile orange de Marie qui semble retourner sur Zinal. Je ne vois plus celle de Diego et Lisa, j’espère qu’ils ont pu faire un beau vol. Il semble que l'on poursuivra la fin du vol seul.
Nous passons de nouveau au-dessus de la cabane de Tracuit, et remontons audessus du Bishorn.
Cabane de Tracuit (3'259m)
Arrête vers le Weisshorn (4'505m) entre ombre et lumière
Corniche devant le Weisshorn (4'505m)
face nord du Weisshorn (4'506m) avec Zinalrothorn (4'221m) et Cervin (4'478m) en arrière plan
Nous dépassons les 4 000 m d’altitude! Quelle joie, mais aussi quel froid! Même avec pantalon de ski et doudoune, le vent glacial nous transperce. Sur le Bishorn, des parapentistes se sont posés pour faire une pause : incroyable de survoler ce sommet que Lisa et moi avions gravi un an auparavant.Parapentistes décollant du sommet du Bishorn (4'151m)
Nous continuons notre progression vers le massif du Weisshorn (4 506 m). Nous tentons de monter le plus haut possible pour le rejoindre, mais il faut se rendre à l’évidence : cela ne sera pas possible. Arnaud me dit que même en solo ils ont l'air de galéré, difficile donc d’espérer côtoyer ce sommet avec un biplace. Nous atteignons néanmoins 4 300 m d’altitude : la vue est splendide ! Le Zinalrothorn se dresse telle une aiguille majestueuse.Au loin, un parapentiste tourne autour du Zinalrothorn (4'221m)
Duo de géant, Cervin (4'478m) VS Zinalrothorn (4'221m)
On croise aussi Fabio, un parapentiste jurassien qui profitent aussi des paysages grandioses. De là en haut, la vue est imprenable, on voit le massif du mont RoseLes plus hauts sommets Suisse dans le massif du mt rose avec Nordend (4'609m) et la pointe Dufour (4'634m)
On décide de continuer notre boucle pour aller rendre visite au Zinalrothorn. On frôle ses glaciers suspendus, la vue est irréelle. On passe sous le Zinalrothorn et l’on part en direction du Besso. Il nous faut passer un petit col et nous avons juste assez de hauteur pour y parvenir.le col "arrête du blanc" que l'on a réussi à passer de justesse
Derrière cette arête s’ouvre un tout nouveau panorama : immense émerveillement devant le glacier de Zinal qui se fraie un passage entre les géants. On ressent vraiment ce caractère vivant du glacier qui prend naissance à l’Ober Gabelhorn et à la Dent Blanche et coule dans la plaine.Ober Gabelhorn (4'064m)
Ober Gabelhorn (4'064m), Cervin (4'478m) et dent Blanche (4'357m)
panorama au dessus du Besso (3'669m) avec le Zinalrothorn (4'221m), Mt Rose (4'634m), Trifthorn (3'729m), Ober Gabelhorn (4'064m), Cervin (4'478m) et dent Blanche (4'357m)
La vue est splendide, mais le temps presse : il faut rentrer. Les thermiques commencent à s’essouffler avec la baisse de l’ensoleillement. Nous retraversons la plaine pour regagner les hauteurs de Moiry.Un deuxième selfi avec Arnaud pendant la traversée avec le Cervin dans notre dos
De cette hauteur, on prend vraiment conscience de la taille des différentes vallées, de la taille des différentes montagnes, de l’ampleur des glaciers ainsi que de la chance de pouvoir planner tel un gypaète !Les séracs du glacier de Moiry
Nous redescendons au-dessus du glacier de Moiry, passons au-dessus de la cabane, et glissons doucement jusqu’à la corne de Sorebois, notre point de décollage initial. Les installations de Zinal sont désormais à l’arrêt, et le ciel est vide de parapente. Nous survolons Zinal puis concluons ce vol par une belle série de 360° avant de poser les pieds à terre après trois heures en l’air ! Un vol incroyable! Quelle sensation étrange d’avoir de nouveau les pieds sur terre. Les jambes sont toutes engourdies par le froid et l’immobilité. Après avoir fêté ce vol d’un gros câlin avec Arnaud, nous replions la voile et rejoignons les autres, qui avaient atterri une heure plus tôt.Parcours GPS du troisième vol avec le panorama montagneux aux allentour. 16'000m de D+, >100km et 3h de vol au total
Des paysages magnifiques plein les yeux, des souvenirs plein la tête ! Une journée tout simplement exceptionnelle, vraiment beau de voir ces montagnes depuis les airs ! Un immense merci à Arnaud et à toute l’équipe des Cracoucasses pour m’avoir permis de vivre ça ! Bon vent à tous




