Topographie sous-glaciaire

Dans le cadre d’un projet de livre, avec des amis spéléologue (GSR et SCVJ), on est monté à la rencontre d’un glacier pour y topographier une grotte de glace. L’idée du projet est de pouvoir suivre l’évolution de ladite grotte au fil des prochaines années tout en documentant, à l’aide d’images, les parties éphémères.

Lors de mon suivi annuel des grottes de glace valaisannes, j’ai repéré en 2024 une nouvelle grotte impressionnante par ses dimensions. De par sa taille, elle présente un fort intérêt à être topographiée pour assurer un suivi sur plusieurs années, afin de localiser les images ainsi que les changements majeurs de la morphologie de ce glacier mourant. J’avais estimé sa longueur à 850 mètres mais les pointages au « *disto » auront le dernier mot !

*disto: instrument de mesure de distance laser modifié avec une puce et une boussole pour ajouter la direction et l’inclinaison à la mesure.

Le vendredi 25 avril 2025, l’équipe constituée de Benjamin Roh (GSR), Louis (SCVJ/GSR) et moi-même (GSR), chaussons les peaux pour nous rendre au bout de la langue du glacier. Pour s’échauffer, nous topographions une première galerie, qui s’est déjà réduite de deux bon mètres depuis ma dernière visite. Nous ne nous y attardons pas trop : la voûte glacée fait moins d’un mètre d’épaisseur, et la congère de neige soufflée est impressionnante. Cette grotte s’éffondrera probablement déja ce printemps.

Pas évident de passer au-dessus des blocs fraîchement écroulés avec les skis de rando, et pas forcément facile non plus de faire fonctionner le disto avec tant de luminosité : le point rouge est difficilement discernable, et la réflectivité de la glace n’aide pas. Le premier tunnel fait 238 mètres de long et atteint tout de même 6 mètres de hauteur sous la voûte pour 15m de dénivélation.

On presse un peu le pas car la seconde grotte présente des dimensions bien plus impressionnantes, et la journée est courte !

Pour gagner en efficacité on se réparti les rôles :

  • Louis est au disto, mesurant les points ainsi que les section en faisant des mesures d’habillage.
  • Je suis en avant pour déterminer le prochain point de mesure, en le marquant à l’aide d’un bâton de ski ou d’un élément naturel avec un faible indice de réflexion,
  • Benjamin est à l’arrière, téléchargeant les données du disto sur le smartphone pour s’assurer que les points mesurés permettent une bonne modélisation. Il s’occupe aussi de dessiner les éléments remarquables de la grotte.

La stratégie est d’abord de mesurer le tunnel principal, puis de topographier les tunnels secondaires perpendiculaire en redescendant.

Le début de la grotte est impressionnant, avec une voûte atteignant 7.5 mètres de hauteur. Très ouverte, la lumière y accède bien, tout comme les avalanches des derniers jours, qui se sont engouffrées par les tunnels secondaires en les obstruants.

Rapidement, en explorant la galerie principale, la luminosité chute drastiquement et la neige au sol laisse place à un pierrier.

En ce début de printemps, le glacier a déjà entamé sa fonte, et la rivière a transformé le terrain en véritable patinoire. Éclairés par la lumière chaude de l’acétylène, nous cherchons les cailloux libérés des glaces pour évoluer dans la pénombre glaciale. Plus on s’enfonce, moins le lit de la rivière est marqué, et plus il devient difficile de ne pas glisser.

Il faut marcher sur les replats des gours gelés de la rivière mais c’est parfois trompeur : parfois le pied traverse et l’on plonge dans 30 cm d’eau glacée ; parfois le pied glisse, et l’on se rattrape comme on peut. Benjamin a dû se faire un bandage de fortune au poignet et on ne compte plus les microcoupures aux mains. Heureusement, le froid aide à ne pas trop sentir les douleurs…

Nous progressons rapidement mais le temps presse. Nous voilà au bout du tunnel principal. Benjamin nous fait un rapide topo des premières mesures : 650 mètres de longueur pour 144 mètres de dénivelé ! Pas mal, mais en deçà des chiffres que j’avais estimés lors de mon repérage. À entendre les réactions de Louis, il semble que nous ne soyons pas venus pour rien (pas de réaction chez Benjamin, fidèle à son flegme habituel).

La topographie est loin d’être terminée : il nous faut maintenant revenir en arrière pour mesurer les différentes galeries secondaires. La galerie principale a été mesurée avec 27 postes de mesure. Une première galerie secondaire se trouve déjà au point de mesure 25 (les points de la galerie secondaire sont donc 25.1, 25.2, 25.3, etc), et au point de mesure 20 (20.1, 20.2, etc), il s’agit d’une salle avec un lac glacé en formation où pas moins de quatre galeries se rejoignent.

Le temps presse, et l’on sent clairement que le débit de la rivière de fonte augmente d’heure en heure. Nous espaçons au maximum les distances entre deux points de mesure pour gagner du temps tout en gardant une bonne précision/résolution. C’est impressionnant de constater que toutes les galeries secondaires suivent la même pente. Logique, puisque tout le glacier repose sur le même flanc de montagne, mais la topographie confirme clairement cette tendance.

Lors de la descente, Benjamin trouve des reliques prises dans la glace, figées dans le temps : un bout de corde d’une cinquantaine de centimètres, gelé dans la rivière. Sûrement une vieille corde utilisée par les premiers alpinistes. On se raconte quelques histoires d’expéditions un peu folles avant de documenter la découverte, noter sa position sur la topo, et reprendre notre progression.

Suite à cette découverte, nous restons particulièrement attentifs : clairement, peu de personnes se sont aventurées aussi loin dans cette grotte. Le glacier agit comme une capsule temporelle.

Voilà que Louis s’exclame à nouveau : une chaussure ! Impressionnant. Dans le sel glacière, coincée entre les blocs rocheux gelés et la glace, un morceau de cuir fait son apparition. Après avoir documenté la scène, nous décidons de mettre au jour le reste de la chaussure. Avec l’été qui approche, la chaussure serait vite balayée par la rivière, et l’accès à la grotte deviendrait trop périlleux avec les risques d’effondrement. Délicatement, nous grattons le sel glacière et dégageons les pierres prises dans la glace. Peu à peu, nous extirpons la chaussure du pergélisol. Nous inspectons les environs, mais aucun autre indice ne laisse présager la présence d’un corps. Bizarre de retrouver une chaussure isolée ici. Benjamin la pacquète et nous la ferons analyser par un bureau spécialisé une fois de retour en plaine. Comme pour la corde, nous relevons précisément sa position sur la topographie de la grotte.

Nous voilà quasiment de retour à notre point de départ, à l’entrée de la grotte. Il ne nous reste plus qu’à mesurer les premières galeries latérales. Le temps commence à manquer, et la fatigue se fait sentir. Voilà, le point 2.3, le 71 station de mesure est fait : la grotte est maintenant entièrement modélisée !

Elle atteint une longueur totale impressionnante de 1510 mètres, en comptant toutes les galeries secondaires et tertiaires ! Existe-t-il une grotte de glace plus grande dans les alpes ?

Un énorme travail topographique réalisé en moins de 6 heures. Ce travail nous offre une base de référence pour l’année 2025, permettant de référencer les différentes images prises depuis ainsi les artefacts trouvés. Cela permettra aussi d’assurer toute la documentation future sur cette grotte vouée à disparaître prochainement. De futures topographies seront effectuées dans les années à venir pour mesurer son évolution.

Merci encore à Benjamin et Louis pour ce travail exceptionnel!

 

*svp remplissez toutes les cases. Merci!
  • SwagFastCat dit :

    Merci pour ces exceptionnelles images, et ce récit intéressant de 3 amis en vadrouille.
    PS: Ne laissez-vous pas de pointeurs fixes (Vielles vis à glaces, etc…) pour détecter des mouvement de glaces, (pas seulement la forme de la grotte ?).
    Bonne chance pour vos prochains relevés.
    JF