Le gypse dans tout ses états
Avec mes débuts en spéléologie et mes cours d’accompagnement en montagne (AMM), j’ai découvert une nouvelle facette de notre monde au travers de la géologie. Cette vaste science s’intéresse notamment à la formation et à l’histoire des roches qui nous entourent. D’ailleurs une phrase d’un ami géologue en formation AMM, Manu, m’a particulièrement interpelée : « Tous les cailloux, comme chacun et chacune d’entre nous, sont des immigrés. En effet ils proviennent tous d’ailleurs. Leur voyage est le résultat de la conjonction de la tectonique des plaques et de l’érosion ». L’histoire des roches est passionnante, il faut juste apprendre à les écouter, lire entre leurs strates.
Dans ce billet de blog, nous allons nous plonger dans un réseau *karstique qui a la particularité de s’être développé dans du gypse.
Le gypse se reconnait par sa friabilité et sa blancheur
Cette roche a une longue histoire qui nous fait remonter à des temps immémoriaux. Elle commence vers la fin du Trias, il y a un peu plus de 200 millions d’années avant notre ère. À cette époque le super continent, la Pangée, n’est pas encore fragmenté. La croûte continentale qui sera prise plus tard en sandwich dans la formation des Alpes est recouverte par une mer peu profonde en périphérie de l’océan Téthys. Le climat y est chaud, ce qui favorise la formation de la roche qui nous intéresse ici : le gypse.
Il s’agit d’une évaporite, ce qui signifie que cette roche s’est formée par l’évaporation d’une eau surchargé en *sel dissout. Le gypse est un sel comme notre fameux sel de table (chlorure de sodium). Tout comme lui, il peut se dissoudre dans l’eau. L’eau a le pouvoir de casser le lien qui relie le Na (sodium) au Cl (chlorure). Ce pouvoir est limité et s’il y a trop de sel, la concentration de sel dissous atteint un maximum. Le mélange est alors saturé et le sel en trop reste solide.
Cristaux de gypse se formant sur les parois d’une mine.
Des goutes saturées en sulfate de calcium s’éclaboussent au sol et forment ces cristaux
L’eau infiltrée dans la roche a une pression permettant de dissoudre le gypse. Une fois hors de la roche, la pression et la température diminue et le sel se cristallise contre les surfaces alentour.
Les cristaux de gypse ont une forme parallélépipédique (pas en pyramide comme d’autres cristaux)
A la fin du Trias, le climat chaud et les mers peu profondes commencent à s’évaporer. En évaporant l’eau de la mer, la concentration en gypse, plus précisément sulfate de calcium (CaSO4), augmente. L’eau devient saturée et le gypse repasse à l’état solide : il précipite et s’amoncèle avec le temps en strate sur les fonds marin.
Après la formation de cette roche, au terme du Trias, le contexte tectonique se retrouve à nouveau bouleversé : une nouvelle période commence, celle du Jurassique qui s’étend de 200 à 145 millions d’années. Le climat est globalement plus chaud de 5 à 10 degrés par rapport à aujourd’hui. Le taux de CO2 est aussi dix fois plus élevé. Les dinosaures parcourent les plages, des libellules d’un demi-mètre survolent les marécages et la vie bas son plein dans les mers peu profondes en marge des continents. Au cours de ces millénaires, des générations d’ammonites, de crocodiles marins, coraux, oursins, poissons et crustacés se reproduisent, folâtrent, s’adaptent et finissent par mourir. Tout le calcium contenu dans les squelettes et les coquilles de crustacé s’accumulent en formant des strates par-dessus notre gypse. Tout ce processus de déposition va se poursuivre pendant la fermeture progressive de l’océan Téthys durant la deuxième moitié du Crétacé (145 à 65 millions d’année avant notre ère).
La formation des Alpes commence avec la collision entre le continent Européen et *l’Apulie (un microcontinent au Nord de l’Afrique) au cours du Paléogène, il y a entre 65 et 23 millions d’années. Notre couche de gypse est prise en sandwich entre différents niveaux géologiques et va subir des déformations tectoniques. Avec l’érosion des jeunes Alpes, le gypse retrouve à nouveau la lumière du soleil. Cela après un incroyable périple souterrain de près de 200 millions d’années !
C’est alors que le processus de karstification peut commencer. Contrairement au calcaire massif, le processus d’érosion sera beaucoup plus rapide dans le gypse.
Bloc de gypse en cours d’érosion dans une gouille d’eau (on remarque la poussière de gypse érodée au pied de la structure)
Il est très friable et se dissous plus facilement dans l’eau. De part cette solubilité élevée, des galeries souterraines se forment facilement par dissolution avec l’infiltration de l’eau de pluie.
Un exemple de galerie formée par l’eau dans une couche de gypse
Tout un réseau en perpétuelle transformation se met en place.
Une stalactite de gypse en cours de formation (de type cristalline)
Des concrétions s’y forment et peuvent à nouveau disparaître pour se reformer plus loin: l’eau de percolation dissout du gypse par endroit et le fait précipiter ailleurs en stalactites, stalagmites, draperies, perles ou d’autres spéléothèmes dû à la différence de pression de l’eau, de la température et du taux de concentration.
Les précipitations du gypse s’organisent en fins filaments et cristaux croissant goute après goute jusque à former une petite stalactite qui s’allongera avec le temps.
Le diamètre des filament que l’on aperçois est dans les 0.04mm soit la taille d’un cheveu.
goute après goute, les cristaux grandissent, s’entremêlent
goutte après goutte, la stalactite s’allonge
Parfois les structures semblent en équilibre, semblent défier la physique
Une fistuleuse est une concrétion tombant du plafond extrêmement fine et fragile
Des impuretés comme du pollen peuvent être pris au piège dans une concrétion
Naissance d’une stalactite. Petit à petit les cristaux de gypse se rejoignent et forme la base d’où goutera les futures gouttelettes
Le gypse se dissolvant plus facilement que le calcaire, les concrétions de gypse peuvent se former en une dizaine d’année alors qu’il faut en compter une dizaine de millier pour le calcaire.
Lorsque des goutes d’eau saturée tombe au sol, des perle des cavernes en gypse (pisolithe) peuvent se former
Ce sont des grottes dangereuses et très instables par nature. Il n’est pas rare que des pans de gypse complets collapsent et obstruent d’anciennes galeries.
Arche de gypse et bloc de gypse en cours de dissolution
Tout récemment d’ailleurs, un trou de 1m20 c’est ouvert sur une autoroute! Le gypse sous le bitume c’est dissout fragilisant le couches supérieures jusqu’à l’effondrement de la route. Par chance, le trou a été découvert avant un malheureux accident!
Si l’on rajoute encore à cela l’activité humaine à proximité avec l’extraction du gypse à coup d’explosifs pour fabriquer du plâtre, les grottes deviennent carrément dangereuses !
S’y aventurer nécessite de bien connaitre le réseau, les périodes de minage en cas d’exploitation et de ne pas oublier les règles de base en avertissant en amont des personnes de confiance et expérimentées au secours.
Toujours s’aventurer dans une grotte avec des personnes expérimentées (ici Benjamin) et appliquer les règles de sécurité de base de spéléo
Même en prenant toutes ces précautions, il y a *des dangers objectifs : le caractère très instable et friable du gypse engendre des chutes de bloc imprévisibles.
C’est en connaissance de cause et en adoptant un comportement qui minimise au maximum *les risques que l’on s’aventure dans les entrailles de la terre. Une fois arrivé à la hauteur de la nappe phréatique, tout semble figé. En l’absence de courant d’air, les petits lacs de la nappe agissent comme des miroirs.
Lac qui semble figé dans le temps d’un bleu azur. Notez les nombreux blocs rocheux tombés de la voute de la grotte.
Notez les différences de couleurs dans la roche du plafond. On distingue clairement les différentes « strates » typiques d’une roche sédimentaire/évaporite
Il devient presque impossible de différentier le reflet du fond du lac. Ce bleu cristallin, cette roche blanchâtre, ces reflets et cette pureté semblent presque irréels.
Eau de nappe phréatique formant un petit lac.
Par endroit, de fines plaques blanches flottent à la surface de l’eau.
Du gypse cristallisé sous forme de plaque en surface
En regardant plus attentivement, on discerne des petites dendrites, comme plein de petits flocons de neige accolés.
Plaque typique formée à la surface de l’eau
Vue rapprochée de plaque en formation
Cristallisation du gypse en surface formant des petits cristaux
Détail des cristaux
Il s’agit en faite du sulfate de calcium qui se recristallise à cause d’un taux de saturation en gypse trop élevé. Celui-ci se cristallise en formant ces petits flocons qui s’agglomèrent de plus en plus jusqu’à former de fines plaques.
Déchirement d’une fine plaque suite à une perturbation dans l’eau
Bulle d’air emprisonnée sous la plaque
Différentes densités de cristaux
Les plus gros cristaux font 0.15mm de long
Les plus petits cristaux font 0.04mm ce qui est ridiculement petit!
C’est un peu le même processus que les salières en bord de mer. Ces petites plaques flottent grâce à la tension superficielle de surface de l’eau. A la moindre perturbation, ceux-ci décrochent et coulent au fond de l’eau.
Le même phénomène qu’a la fin du Trias, il y a plus de 200 millions d’années, se reproduit en quelque sorte! Quel privilège de pouvoir observer ces réactions chimiques si particulières à l’état naturel.
Il n’y a pas que le cycle de l’eau avec son évaporation, ses pluies, ses glaciers, ses rivières et lacs, il y a d’autre cycle. Voir en direct une partie du cycle du calcium avec la roche sédimentaire formée il y a des millions d’années, son érosion par l’eau de pluie, ses reformations dans des stalactites, sa dissolution dans l’eau de nappe, sa recristallisation en surface et ses précipitations au fond des petits lacs souterrains me laissent pantois. Je retrouve mon âme d’enfant devant ce type de phénomène. J’en viens même à imaginer des cycles encore plus fous. Je m’imagine le cycle du méthane sur Titan, une des lunes de Saturne. Tout là-bas dans notre système solaire, du méthane liquide coule le long des rivières, forme des lacs, s’évapore et retombe sous forme de pluie de méthane. Je ne verrai probablement jamais ce cycle d’hydrocarbure mais la vue de ce cycle du calcium suffit largement à attiser ma curiosité. Cela me motive à découvrir encore plus de trésors cachés.
Toutes ces beautés naturelles sont très fragiles et doivent être préservées. En plus de la destruction de ces joyaux par l’exploitation humaine du gypse pour la fabrication de plaque de plâtre, s’ajoutent les déprédations des visiteurs peu scrupuleux. Ces grottes peuvent pour certains être facilement accessibles. Malgré le risque élevé et le danger omniprésent, des curieux et curieuses s’aventurent parfois dans ces grottes à la recherche de sensations fortes. Malheureusement, un manque de formation, d’éducation ou même parfois un coté narcissique et d’égo détruisent ces lieux.
On peut retrouver des bougies, des emballages plastiques et d’autres ordures transformant des grottes en décharges.
Emballage de « ShupaShups » en plastique trouvé dans une grotte naturelle de gypse
Une fleur en plastique « décorant » la grotte
On y trouve même parfois des foyers qui noircissent les parois de la grotte, enfument les chauves-souris ou même d’autres personnes pouvant se trouver ailleurs dans la grotte.
reste de foyer
On y trouve aussi des amoncellements de pierre formant des cernes ainsi que des déjections. On y retrouve aussi des graffitis réalisés à la bombe ou à la suie d’acétylène contre les parois marquant le passage de personnes en manque d’ego avec des noms, des dates et même des messages religieux, d’amour et de haine.
Merci Frank
Merci Claudy Moix
Merci Waser
L’histoire de l’image ci-dessus:
- Il y a 130millions d’années, l’océan Téthys se forme, des animaux y vivent et y meurent augmentant le taux de sulfate calcium dans l’eau.
- Il y a 80millions d’années, l’océan Téthys commence à se refermer, l’eau s’évapore et le gypse se cristallise au fond de l’océan et forme des couches.
- Il y a 50millions d’années, le fond de l’océan Téthys se fait complètement écraser et expulser, pris en sandwich entre la plaque tectonique Africaine et Européenne. Les déformations dessinent les plissements que l’on voit.
- Il y a 20mille ans, des glaciers, des infiltrations d’eau dissolvent le gypse créant des grottes et des éboulements
- Il y a 30ans, des humains narcissiques indiquent leur passage sur une oeuvre d’art, une fresque naturelle façonnée depuis une centaine de millions d’années
Je suis bien désolé de finir sur cette note en demi-teinte mais il m’est impossible de parler des beautés de la nature sans relever le coté malsain de l’humain. Il y a malheureusement un grand manque de sensibilisation à cette problématique et j’espère apporter une petite pierre à l’édifice par cet article.
Pour ne pas en rester là, je pense organiser un nettoyage de quelques cavités pour leur rendre leur aspect naturel (en m’assurant qu’il n’y ait plus de chauve-souris en hibernation ou en train d’élever leurs portées).
Le grand rhinolophe, une espèce rare et sensible habitant pouvant habiter dans les grottes/mines de gypse
Et pourquoi ne pas sensibiliser les jeunes en organisant des conférences dans les classes d’école ?
Un grand merci pour votre lecture, ne cessez jamais de vous laisser émerveiller par la nature et laissez là aussi naturelle qu’elle est 😊
Un grand merci à Antony, Géologue en formation pour sa relecture et nombreuses précisions et complément sur la partie hydro-géologique de l’article. J’ai malheureusement dû simplifier beaucoup de détails techniques. Cependant, vous trouverez quelques précisions dans les notes et définitions ci-dessous :
* karstique : ‘’Le karst est une structure géomorphologique résultant de l’érosion hydrochimique et hydraulique de toutes roches solubles, principalement de roches carbonatées dont essentiellement des calcaires.’’ Source
*Spécificité des différents ères cités :
- Trias : 250 à 200 millions d’années avant notre ère. Le climat est particulièrement chaud. La Pangée n’est pas encore fracturée. Plus de précision
- Jurassique : 200 à 145 millions d’années avant notre ère. Le climat est globalement plus chaud de 5 à 10 degrés par rapport à aujourd’hui. Le taux de CO2 est aussi dix fois plus élevé. Plus de précision
- Crétacé : 145 à 65 millions d’années avant notre ère. Le climat est moins chaud qu’aux périodes précédentes (Trias, Jurassique). Durant la deuxième moitié de cette période, l’océan Téthys se ferme progressivement. Plus de précision
- Paléogène : 65 à 23millions d’années avant notre ère. Le climat est toujours chaud. Les Alpes commencent à se former avec la collision entre la plaque Eurasienne et Africaine au début de cette période. Plus de précision
*Mer ou Océan ?: Pour faire simple, on parle d’océan quand il y a une croûte océanique conséquente et de mer lorsque l’eau recouvre surtout de la croûte continentale (ex : la mer Méditerranée).
*sel : Le terme ‘’sel’’ regroupe ici un assemblage d’atomes ou molécules qui peuvent se retrouver sous forme ‘’aqueuse’’, c’est-à dire dissout dans l’eau et combiné avec les molécules H2O qui le compose.
*Risque: En gestion du risque en montagne, on parle du risque résiduel qui est le résultat d’une division entre les dangers et le comportement des gens vis-à-vis de ce danger. En ce sens un sentiment de sécurité dû par exemple à des années de pratique sans accident peut conduire à des comportements dangereux. Cela peut être appelé ‘’le paradoxe du sentiment de sécurité’’, puisqu’il conduit à un comportement dangereux pour soi-même et les autres, secouristes compris ! Il y a un autre type de sentiment de sécurité généré par le manque d’expérience et d’année de pratique. Or la spéléologie et les sports de montagne sont surtout des affaires d’expérience et d’années de pratique. Au final, ce qui permet d’adapter notre comportement au mieux, c’est la conscience du danger et encore plus des conséquences d’un accident)
*Danger objectif ou subjectif ?: si on peut causer la déstabilisation d’un bloc, d’une avalanche ou tomber, c’est un danger subjectif, vue que l’humain est la cause déclenchante de l’événement qui peut générer l’accident. Si la déstabilisation n’est pas causée par l’humain ou autrement dit, si l’humain n’a pas le contrôle sur ce déclenchement, on parle de danger objectif. Là, les seules stratégies, c’est d’éviter complètement le danger ou sinon au moins réduire le temps d’exposition.
Sublime magnifique! Merci pour tant explicatifs, tant de sublimes photographies et tant de passion.
Damien J. Evequoz
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