Sur les traces du plus grand gallinacé de nos alpes: le grand tétras

Le grand tétras est l’espèce qui comprend de loin la population la plus fragile. Il est en voie de disparition dans l’arc alpin où le nombre d’individus décroit d’année en année à cause du morcellement de leur territoire. On trouve de bonnes populations dans les forêts scandinaves où les grandes et vieilles forêts bien préservées leur sont propices. On en trouve aussi dans les forêts jurassiennes mais la population est très précaire. Certains coqs deviennent malheureusement « fous », sans doute à cause de la trop faible densité de leur population et du dérangement humain. Il devient de plus en plus rare de trouver de larges forêts dans nos régions (en Suisse), quelques petites populations subsistent encore dans les forêts grisonnes.

N’ayant jamais vu cet oiseau, tout commence par une phase d’apprentissage. J’écume des livres à son sujet ainsi que quelques documents trouvés en ligne. Avec les cartes de recensement de l’espèce en Suisse, je délimite les zones avec le plus de probabilité de rencontre avec celui qui est aussi appelé le « coq de Bruyère ». Je prends aussi contact avec l’ami Célestin qui a pas mal fait de recherche dans la région.

Il y avait encore quelques 1800 grand tétras en Suisse avant les années 2000. La population est en chute libre depuis et ateinds le nombre tristement faible de 500 individu (source atlas des oiseaux nicheurs Suisse)

C’est une espèce qui est déjà fragile, il ne faut pas que le dérangement sur le terrain ne la mette encore plus en péril. La discrétion et la préservation de leur tranquillité est une règle d’or pour le photographe ou le naturaliste.

Un premier repérage pour dégrossir les zones intéressantes repérées sur cartes à lieu en octobre 2020 avec un ami photographe, Antoine. Armés de nos jumelles, après avoir passé la nuit sur le matelas à l’arrière de la voiture, nous partons sur les traces du grand tétras. Les forêts sont incroyables avec de gros arbres parsemés de clairières.

On trouve même quelques traces d’ours imprimées dans de la boue gelée.

Après quelques jours de prospection, on repère plusieurs zones où on a pu observer des grands tétras perchés sur les arbres.

On profite du reste de la semaine pour passer quelques nuits en affût dans des tentes posées pour l’occasion, et pour mettre en boîte le profil du gallinacé.

Malheureusement, en cette période, ils changent souvent de zone. Un matin, alors que je suis en affut, je vois surgir d’entre les arbres un mal qui plane dans ma direction. Il frôle l’affût avec ses 1m20 d’envergure et se pose à 2m à côté de mon affût dans les myrtilles. Je viens de vivre une de mes scènes naturalistes les plus incroyables. De la fenêtre de mon affût, j’ai pu voir de près la petite barbiche hérissée du mâle ainsi que le souffle d’air après son passage. J’ai entendu pendant plus de 15min l’oiseau se nourrir juste à côté de l’affût, totalement invisible à cause de la hauteur des plantes.

Pas d’images mais des souvenirs plein la tête. On aura même la chance d’avoir la visite de la chouette chevêchette pendant que l’on faisait chauffer de l’eau pour le lyophilisé de midi.

Il est temps de rentrer, après avoir dû pousser sur quelques mètres la voiture, utilisée comme camp de base depuis 1 semaine, pour la démarrer. Bye-bye les grisons, nous reviendrons à la période des pariades du tétras.

Nous voilà en avril, selon la littérature, la pariade du grand tétras commence mi-avril et se termine en mai. On remet le cap vers la zone prospectée 6 mois plus tôt. Tous les cols ne sont pas encore ouverts, le temps de voyage passe de 4h30 à 5h30. Sur place, la neige est encore bien présente, impossible de monter en voiture comme en octobre, il nous faudra transporter tout le matériel à dos d’homme. Nous sommes bien chargés avec la tente, les affûts, le matériel de bivouac, les appareils et pièges photo. Trois aller/retour seront nécessaires pour amener le matériel sur les 3km et 400m+ de montée dans la neige qui séparent la voiture du camp de base.

Une fois le camp de base installé, nous partons sur les spots repérés 6 mois plus tôt. Nous restons à bonne distance mais malheureusement, les coqs ne sont plus dans leur zone d’estivage. Le camp de base nous permet de passer les premières nuits sous tente, le temps de trouver les places pour les tentes-affûts.

Le camp permet aussi de manger à midi avec Antoine avant de repartir chacun sur son spot.

Les nuits sont bien fraîches, les températures sont négatives la nuit (environ -3°C).

Après quelques jours, nous repérons grossièrement une zone avec une bonne densité de coqs. Les traces dans la neige nous aident beaucoup.

Les trois doigts du tétras se voient bien et parfois on peut même voir l’empreinte des plumes des ailes dans la neige.

Pour éviter le dérangement, il est évident que l’on ne peut pas faire de billebaude (se promener dans la forêt à découvert pour photographier les animaux). On ne sort pas des chemins/routes pour éviter le dérangement au maximum et nous rentrons bien avant le lever du jour dans les tentes (vers les 4h du matin) et nous en sortons vers les 12h pour y retourner vers 15h. Pour augmenter les chances d’apercevoir des tétras et pour couvrir une plus grande zone, Antoine et moi sommes en affût dans des zones différentes, toutes potentiellement intéressantes.

Les matinées sont magiques, au petit matin vers 5h30 on entend des petits « pouc » un peu partout autour de nous. Le bruit ressemble à une goutte d’eau tombant dans un évier. On se croirait dans une forêt enchantée. Puis on entend les individus parader au loin. Malheureusement, les affûts restent infructueux. Les individus paradent non loin de l’affût, « juste » derrière une bosse ou « juste » plus bas dans la pente. Le terrain est relativement accidenté avec une forte pente (normal dans les Alpes), il est assez compliqué d’avoir une zone très dégagée. Un matin, il me semble qu’il chante à côté de moi. Une fois les parades terminées vers 12h, je décide de sortir de l’affût pour aller repérer les traces de l’individu entendu. Je trouve quelques crottes non gelées et des traces de parade dans la neige.

Manque de chance, il y avait juste un arbre entre lui et moi…

C’est très frustrant de les entendre matinées après matinées mais de ne jamais vraiment les voir devant l’affût. Contrairement aux tétras lyre où tous les individus ont leur petit territoire d’environ 50m^2, les territoires pour les grands coqs, comme leur nom, sont beaucoup plus grand : je dirais dans les 25’000m^2. Il est impossible d’avoir un affût avec une vue sur tout le territoire d’un individu à cause de la pente et des arbres, il faut donc faire des compromis et compter sur beaucoup de chance.

La chance sourit à Antoine au 5ème jour d’affut, il a la chance de voir 3 individus devant sont affut avec des parades et des intimidations. De mon côté, 50m plus loin, je n’ai pas eu une seule image. Il s’avère que ce spot est une zone entre 3 territoires avec un individu au-dessus de la route, un en dessous et un sur la droite. Ce fût très frustrant de savoir que le collègue a 600 images sur sa carte et que la mienne a 0 images en 5j.

Depuis ce soir-là, j’affûte sur cette zone 22h sur 24 pendant 3 jours. Les nuits sont un peu acrobatique dans la pente dans l’affut avec le sac de couchage.

C’est seulement l’avant dernier jours qu’un grand tétras fait un passage devant l’affut.

Il ne fait que traverser le chemin en position de parade.

Je suis en rafale silencieuse et je ne lâche pas le déclencheur, je suis complètement euphorique, voir l’oiseau que j’attends depuis maintenant 6 jours.

A chaque gloussement, le coq ferme sa paupière nictitiante par reflex pour protéger son oeil en cas d’attaque. Cette membrane protège et humidifie l’oeil chez la plupart des oiseaux. Chez nous, seul un petit bout subsiste dans le coin de notre oeil.

La photographie animalière, c’est un peu de frustration, beaucoup de patience et de cours instants d’euphorie. 1 semaine de repérage en automne et une semaine d’affût pour un passage du plus gros et plus rare gallinacé des Alpes.

Quelle joie d’avoir pris quelques photos, évidemment, j’aurais préféré en faire plus, faire plus d’images d’ambiance où l’on voit le grand tétras dans son environnement alpin, faire plus d’images de confrontation entre tétras. Mais je suis tellement content d’avoir pris ne serait-ce qu’une image !

Et même sans image, l’ambiance matinale, entendre leur chant, entendre leur vol lourd, toutes ces sensations valent déjà les heures d’attente. Il vaut mieux avoir peu d’images, même imparfaites mais en prenant toutes les précautions pour ne pas déranger l’espèce car pour moi, la photographie animalière est là pour montrer au monde la beauté qui nous entoure.

 

 

 

Cliquez ici pour annuler la réponse.

*svp remplissez toutes les cases. Merci!
  • Ajt dit :

    .merci Lio pour ce chouette récit …ce super boulot respectueux de l’environnement et les belles photos !! Bravo bravo .. ´je me régale !

  • Mathijs dit :

    Fabuleux

  • Tristan.wild06 dit :

    Vraiment très intéressant je rêverais de vivre la même chose jeune photographe que je suis
    Vraiment magnifique on se plonge dans l’aventure avec toi

  • Antoine Glassey dit :

    Magnifique témoignage, belles photos
    Un oiseaux mythique

  • Culot Thierry dit :

    Merci de nous faire partager ces instants magiques….
    Merci pour votre courage,votre abnėgation ….
    Merci de nous faire connaître cet animal qui disparaît silencieusement….
    Que ces merveilleuses images puissent toucher le coeurs des hommes et …. Peut être déclencher un mouvement de protection de certains dirigeants….
    C’ est mon plus grand souhait…… ♥️♥️♥️

  • Itinera magica dit :

    Magnifique récit touchant et sincère, bravo pour votre ténacité ! Superbe série photo au final

  • Socanza dit :

    Merci pour ce récit qui donne encore plus de valeur à ces magnifiques photos. En tant que « photographe du dimanche » je mesure ce plaisir. Un grand bravo ! En espérant que cela aide à la protection de Dame Nature.

  • Hélène dit :

    bravo à vous!! un très intéressant compte rendu et de magnifique photos qui nous font rêver!! Merci pour ce beau partage!! La vraie vie du photographe animalier amoureux de la Nature.

  • Eloi.m dit :

    Félicitations pour ce récit, c’est très passionnant pour moi d’avoir votre témoignage et vos pratiques sur le plan opérationnel en tant que passionner et étudiant dans l’environnement et photographe animalier amateur. De plus, celui est très bien structuré et écrit, on est pris dans la lecture et les images sont magnifiques !
    Votre travail et votre passion pour l’environnement sont remarquables.
    Merci de nous partager tout cela.

  • Amandine Mcd dit :

    Merci pour le récit de cette fabuleuse aventure !
    C’est encore mieux lorsque l’on connaît l’histoire d’une photo ! Bravo pour ces magnifiques clichés, que d’émotions ! En espérant que l’Homme finisse par laisser vivre en paix ce si bel oiseau, cessant de réduire toujours plus son territoire et sa population…

  • Daniel Lefebvre dit :

    Magnifique récit

  • Daniel Lefebvre dit :

    Pour quand votre premier livre ?
    D’es qu’il sort j’achète desuite

    • admin dit :

      Merci pour le commentaire.
      Pour un future livre, je travaille activement dessus. Passez de temps en temps sur le site, il devrait y avoir bientôt des informations 🙂
      Un grand merci pour votre commentaire, ca motive à écrire.
      Bonne journée et bon weekend.
      Cordialement
      Lionel

  • Oscaro dit :

    Félicitations Lionel je suis très content pour toi. Au moins tu as été récompensé et tu le mérites.
    Et commes d’autres ont commentés… J’attends ton 1er livre de pied ferme
    Très chaleureusement, je salue ton travail
    A+ copain

    Oscaro