2 nuit en bivouac sous-terre

Comment l’installation de huit échelons pour faciliter la traversée d’un passage délicat se transforme en véritable expédition de trois jours ?

Toute la réponse est dans la « facilité » d’accès. Le passage délicat se trouve à 3 km de l’entrée de la grotte en question. Il faut en moyenne 5h à une personne expérimentée pour y accéder. Il y a quelques passages délicats avec des étroitures où il est nécessaire d’enlever son matériel vertical pour passer. Il y a aussi des parties partiellement inondées, boueuses et beaucoup de boyaux où il est nécessaire de ramper. De plus, le matériel que le GSR (Groupe de Spéléologie Rhodanien) va installer (échelons en métal) est lourd et volumineux. Dans ces conditions, il n’est pas possible de réaliser les travaux en une journée. Nous installons alors un camp de base à 4h de l’entrée. Nous partirons de là frais et dispo, après une nuit de bivouac en direction du passage critique. Cet accès se franchit en remontant sur une corde mais avec les crues régulières en été dans cette partie de la grotte, cette corde se dégrade très rapidement. Il est même risqué de remonter sur cette corde qui peut se casser sous le poids d’une personne. Pour ces raisons, nous préférons assurer le passage en y fixant des U en acier inoxydable dans la roche comme en via ferrata.

La plupart de l’équipe entre dans la grotte le vendredi avec tout le matériel pour le bivouac et pour la fixation des échelons. Ces travaux sont organisés par le GSR.

L’équipe propre avant d’entrer dans la grotte. Chab, Joanna, Nicolas, Jules, Oriane, Christian, Flurin et Kilian

Quatre spéléologues viennent juste pour amener l’équipement lourd jusqu’au camp et ne resteront pas pour la nuit. Chacun progresse dans la grotte avec un kit faisant dans les 8 à 14kg.

Benjamin en train de peser les kits

La progression jusqu’au camp prend un peu plus de temps qu’habituellement. Une fois au campement, un groupe s’occupe de construire le bivouac.

Un autre groupe apporte déjà une partie du matériel lourd le plus loin possible en direction du passage à équiper tandis que les quatres aides-porteurs repartent vers la sortie.

N’ayant pas pu me libérer le vendredi, je les rejoins en fin d’après-midi et croise les trois spéléos porteurs, en sueur dans le fond du premiers puits. On fait rapidement le point de la journée, on note sur la feuille au fond du premier puits l’heure d’entrée et de sortie de chacun, données importantes en cas de secours. Je leur pique une petite bouteille d’eau et continue ma progression dans la grotte. La cavité étant un véritable labyrinthe, il n’est pas rare de se tromper de passage. N’étant allé qu’une fois jusqu’au lieu du campement, je suis bien content de croiser les catadioptres laissés par l’équipe du matin pour éviter de me perdre. Je rage un peu contre mon kit (sac de spéléo) bien volumineux qui se coince partout mais ce n’est rien comparé aux kits pleins de matériel transporté par les autres.

Juste avant l’arrivée au camp, je croise Oriane venue à ma rencontre avec une trousse de secours au cas où. On grimpe le dernier bout à moitié dans une cascade jusqu’au bivouac. Là, toute l’équipe est posée tranquillement sur les tapis de sol et commence tout juste à grignoter des noix et fruits secs. Comme le reste de l’équipe, j’enlève ma combinaison pleine de boue et retire mes chaussures pour attaquer l’apéro. Pour diminuer un peu le courant d’air, on tend deux couvertures de survie pour fermer le bivouac.

Une petite fiole de whisky de Jules ainsi qu’une fiole de gentiane de Nico nous réchauffent de l’intérieur. Ensuite, il est l’heure pour les fameuses crêpes souterraines dont Oriane a le secret.

Une diversité de garnitures stupéfiante avec au choix : moutarde-poires, champignons à la crème, sauce tomate aux câpres, tapenade, raclette, fromage de chèvre, miel à Chab, confitures, sirop d’érable, sucre et cannelle. Même une flambée au whisky ! Il devait y avoir un kit de 12kg juste pour les crêpes.

Benjamin retournant une crêpe

Joanna vs crêpe

Oriane au flambage de crêpe

Benjamin commence a être fatigué

Pendant que certains goûtent les différentes variantes de crêpes, Benjamin ne se sent pas très bien et ronflate déjà au fond du bivouac à côté des bougies servant à sécher les chaussettes mouillées suspendues aux ficelles de la tente.

Après avoir bien mangé et avoir bu 4 thermos de thé, il est temps de débarrasser la cuisine pour installer les lits.

Six personnes dans 8m cubes selon Jules ; totalement dans les recommandations COVID de l’Office Fédéral de la Santé!

Arc-en-ciel de sac de couchage

Le lendemain, le réveil sonne tôt.

Benjamin, Oriane et Jules au réveil

Il est l’heure de se lever, de manger quelques flocons d’avoine et un petit thé avant d’enfiler les combinaisons bien sales pour certains voire mouillées pour d’autres. Nous devons encore préparer les kits pour la journée avec le pique-nique. Nous nous mettons rapidement en route car le chemin d’accès est long et exigeant.

Benjamin avec une draperie de méduses

Les complications commencent dès le début de la progression : une voûte mouillante difficilement contournable.

Benjamin tentant la traversée au sec

Nicolas et Benjamin arrive à traverser sans se mouiller en escaladant sur les bords mais pour les autres, c’est une baignade qui nous attend.

Sur les bords au plus profond, un peu moins d’un mètre, de quoi se mouiller jusqu’au bas du slip.

La dame du lac

Dans tous les cas, je regrette vite de ne pas avoir pris les bottes car mes chaussures de montagne pèsent 4kg de plus après ce passage aquatique.

Plus l’on progresse et plus les galeries se rétrécissent. On avance accroupis mais bientôt, la hauteur est telle que nous devrons ramper. Le ramping se fait sur des centaines de mètres, cela parait interminable. Au bout d’un moment, nous arrivons devant la fameuse « étroiture Benjamin » et nous devons enlever nos baudriers.

Explication sur l’étroiture

L’étroiture est telle qu’il est difficilement possible de passer avec notre équipement. On est vraiment entre deux dalles et le passage doit faire 25cm à tout casser. On se couche sur la dalle, on met les chaussures en canard (à plat), on met la tête de profile et on se laisse glisser dans l’étroiture. Ça passe tout juste mais ça passe. On se passe ensuite le matériel en faisant une chaîne. Au bas de ce passage, on retrouve le matériel lourd amené par une partie de l’équipe la veille. On poursuit la progression, toujours en rampant avec des cailloux bien pointus jonchant le sol. Même avec les genouillères, avec le temps, la douleur se fait bien sentir. Progressivement, le plafond de la grotte s’élève et l’on continue accroupis en tirant nos affaires derrière nous. Nous rencontrons quelques petits passages à grimper et à désescalader où il faut être bien attentif car un faux pas pourrait nous faire basculer trois voire quatre mètres en contrebas.  On arrive ensuite dans le réseau actif de la grotte, c’est-à-dire que ces tubes de roches sont remplis d’eau lors des crues. Cette partie de la grotte est bien plus propre car régulièrement lavée par les eaux. La cavité devient aussi plus grande et l’on peut marcher debout, quel moment incroyable d’enfin pouvoir se dresser ! Nous voilà enfin devant le passage compliqué avec le bout de corde bien usé. On sort les huit marches en acier, la perceuse, les 12 accu, la masse, la pompe à air, les brosses et la colle des kits. Malheureusement, on ne retrouve pas les bouchons d’oreilles…

Benjamin attaque le premier perçage et arrivé à la moitié de trou, l’accu est déjà vide.

A ce rythme, ce n’est même pas sûr que 12 accus suffisent. Heureusement, les autres accus, – plus récents -, tiennent 2-3 perçages.

Le reste de l’équipe attend patiemment dans le bruit assourdissant de la perceuse. Entre notre immobilité, la température de la grotte et nos habits humides, nous ressentons rapidement le froid. Pour éviter de trop avoir froid, on met en place une petite tente de fortune avec une couverture de survie et on allume une bougie trois mèches pour se réchauffer.

Une fois tous les trous percés avec la mèche de 20mm, il est temps de bien les nettoyer à l’aide d’une pompe à air et d’une brosse. Ainsi, la colle adhérera bien mieux à la roche.

Une fois la colle deux composants dans le trou, il faut taper la marche en acier à la masse et attendre que tout sèche.

Pour prospecter la suite, on emprunte la corde fraichement installée en faisant bien attention de ne pas marcher sur les barreaux pour laisser la colle se durcir.

Le groupe se sépare en deux avec une partie rejoignant le lieu-dit de la grotte « la rivière » alors que les autres montent une pente de boue pour prospecter une nouvelle section de grotte et la topographier (faire une première).

Je fais partie de la team « balade à la rivière » qui est l’endroit le plus éloigné de l’entrée de la grotte. On commence à bien l’entendre cette rivière qui résonne de plus en plus fort dans le tunnel de la grotte qui s’élargit. Après une courte balade, nous voici à la rivière. Le débit est vraiment impressionnant !

La rivière avec une cascade au fond d’où plonge le siphon. Nicolas tentant une approche

Au fond, on voit une corde noire qui remonte une cascade. Ne voulant pas trop se mouiller davantage, nous n’irons pas plus loin. Nous voilà arrivés à une rivière souterraine sortant de nulle part après 7h de progression dans la grotte ; c’est juste irréel. Mais ce qui est encore plus fou, c’est de savoir qu’avant nous, des plongeurs souterrains sont venus ici. Ils ont emmené tout leur matériel de plongée, bombonnes d’oxygène et poids pour explorer le siphon sous la cascade. Le siphon fait plus de 300m de long et ouvre sur une galerie qui continue et aboutit à nouveau sur un siphon plus court cette fois. Ce siphon ouvre sur une galerie boueuse et étroite qui ne semble pas se terminer. Personne n’en a encore vu le bout car c’est tellement engagé déjà d’arriver jusqu’à la rivière mais ensuite de traverser des siphons…

Parfois, lorsque je raconte un peu mes aventures, certains me disent que je suis un grand malade et que je fais des choses un peu hors du commun mais pas du tout… Il y en a des bien, bien, bien plus tarés et les plongeurs en spéléo en font partie ! Rien qu’imaginer l’accumulation des difficultés donne le tournis.

Joanna sur le retour dans la galerie active de la grotte

Nous, nous rebroussons chemin à la rivière. On arrive au croisement où l’on s’est séparé du reste du groupe. A ce croisement, à droite la rampe de boue, tout droit le chemin du retour et derrière nous la rivière d’où l’on vient. Pour savoir si un des deux groupes est rentré, un petit cairn a été construit. S’il est détruit alors ça veut dire que l’autre groupe est déjà en train de retourner au bivouac. On s’est donné 18h comme dernier délai avant de repartir, il nous reste encore bien 1h30 à tuer. On décide de monter la rampe de boue à la rencontre de l’autre groupe. La montée est bien glissante ce qui nous fait redoubler d’ingéniosité pour augmenter notre adhérence ou s’accrocher dans les interstices de la roche de manière acrobatique. Sur les côtés, l’humidité des parois et la boue créent un paysage miniature. Comme des petits sapins pleins de neige sont sculptés en miniature.

Joanna géante à coté de la petite foret de boue

Avec de l’imagination on peut aussi voir quelques collines et des rivières qui ruissellent.

Malheureusement, je n’ai pas pris un objectif adapté pour photographier cette scène miniature incroyablement détaillée. J’essaie tout de même de l’immortaliser. Oui, vous avez bien lu, je suis en train de m’extasier devant des tas de boue au plus profond d’une grotte. Je n’ai pas honte et je le redis, c’est probablement une des plus belles choses que j’ai vues, de la boue peut être vue comme un paysage jurassien avec des sapins enneigés ! Je ne cesse de m’émerveiller de tout ce que la nature nous offre.

Je reviens assez rapidement à mes esprits car la suite du chemin est bien glissant. On continue notre ascension dans une pente de plus en plus raide et glissante. Ça devient un véritable challenge de monter ne serait-ce qu’un mètre sans en dégringoler 20 dans ce toboggan. Tant bien que mal, on arrive sur un petit replat et là, plus rien, plus de suite. On n’en revient pas, où est l’autre groupe ? On a bien vu une corde en montant partant dans une cheminée, seraient-ils passés par là ? La corde semblait bien sale et connaissant Benjamin de l’autre groupe, il l’aurait probablement remplacé. On ira voir en descendant si l’on voit des traces de pas.

Autant il est possible d’adhérer avec les genouillères et les mains à la montée autant pour la descente, c’est mission impossible. Parfois, les prises décrochent et il faut gérer la descente au mieux. Il faut rester très vigilant car à une telle distance de l’entrée de la grotte et vu l’engagement élevé, un accident peut très vite se révéler compliqué. Ressortir avec un bras, pied ou côtes cassées est très douloureux et il est difficile d’effectuer les manipulations sur corde. Il est quasiment inimaginable de sortir quelqu’un en brancard aussi profondément dans la grotte (ce compterais en semaines d’intervention intensive).

On croise aussi quelques excentriques

Petites stalactites ne tombant pas à la verticale se nomment des excentriques

Nous voilà arrivés à la fameuse corde. Nico y grimpe, jette un œil et nous dit que ça vaut pas le coup, c’est que de la boue avec un puits, pas de traces. Bizarre, où ont-ils bien pu passer ?

Nous voilà de retour au croisement, le cairn est toujours là. On décide de le casser et de retourner au bivouac. On leur laisse les affaires pour équiper et l’on prend le reste. Le retour est aussi horrible que l’aller avec la difficulté en plus que les « expérimentés » en spéléo ne sont pas avec nous. On doit retourner sur nos traces selon nos souvenirs et en repérant les catadioptres qui ont été placés la plupart du temps à des endroits stratégiques.

Joanna passant devant une fusion d’une stalagmite et d’une stalactite. Une stalagmitetite?

On escalade, désescalade des puits et on traîne nos kits dans les boyaux de la grotte qui semblent interminables. Mes bras sont en feu, je vais avoir des courbatures toute la semaine, c’est sûr.

Après quelques galères, nous voilà arrivés au camp de base. Il est 21h, on décide de nous inquiéter si l’on ne revoit pas le deuxième groupe d’ici minuit. Mais heureusement, ils arrivent vers 22h, juste au moment où l’on s’est bien mis à l’aise dans le bivouac avec quelques biscuits en apéro et le thé qui chauffe sur le réchaud.

Visiblement, ils étaient bien partis sur la corde que l’on est allé repérer et ils sont bien partis dans ce puits plein de boue qui ne semblait pas super accueillant. Le groupe d’exploration nous confirme que c’était bien dég avec plein de boue et bien serré aussi. Finalement, pas mécontent d’être allé visiter cette rivière et avoir fait du toboggan 🙂

Après avoir mangé un lyophilisé, on se couche assez tôt car demain on se lève aux aurores (même s’il n’y a pas vraiment d’aurore dans la grotte) pour sortir vers 14h.

Bivouac éclairé par les frontales au petit matin (les couvertures de survie deviennent translucide)

Le lendemain, on plie tout le camp, on range le bidon à caca et l’on se met en route chacun avec deux kits.

L’équipe bien boueuse avant de se mettre sur le chemin de la sortie. LionelJoanna, Oriane, Benjamin et Nicolas

Nous progressons lentement vers la sortie en traînant cette fois deux kits avec nous lorsque l’on rampe. À 1/3 de la sortie, on trouve Fred et trois amis à lui qui viennent dans l’autre sens pour visiter la grotte. On leur laisse deux kits qu’ils ramèneront lors de leur retour.

On continue vers la sortie en se passant les kits à la chaîne dans les passages plus délicats.

On arrive enfin au dernier puits ou Benjamin met un place un système de balancier pour monter 6 kits rapidement. Avec une poulie micro-traction, il se laisse descendre dans le vide et avec son poids, les sacs remontent.

Et nous voilà dehors après plus de 50h sous terre pour équiper un passage risqué au fin fond de la grotte qui facilitera probablement les futures expéditions du GSR.

 

Merci à Joanna pour la plupart des vidéos illustrant l’article. Merci à Benjamin pour l’organisation de l’expédition. Merci au GSR pour le matériel installé et le matériel de prêt. Merci à tous les participants pour leur aide dans le port du matériel mais surtout pour leur motivation et bonne humeur! Absolument vital d’être une bonne équipe lorsque l’on reste trois jours dans un milieu aussi hostile!

 

A la prochaine pour de futurs expéditions

*svp remplissez toutes les cases. Merci!